mercredi 30 novembre 2011


Conférence de Gil Adamy sur "L’art peut-il changer la société ?"

SIEL 26 novembre 2011, Drouot Montaigne- Paris

A la question « L’Art peut-il changer la société ? », mon point de vue est que l’Art peut peut être la changer par la vision du monde d’un artiste. L’Art dans l’absolu est une vaste notion, et dès lors qu’on lui prête des attributs du réel, il quitte le monde des idées et devient une superpuissance immatérielle. Mais l’Art n’étant pas une entité personnifiée, il serait inexacte de lui imputer « l’action du changement ou de la transformation ». C’est pourquoi je poserai le postulat que l’artiste, peut être un acteur du changement de la société, par sa représentation de sa vision du monde, selon les principes du mécanisme de prise de conscience, d’intériorisation, de projection, qui conduit au choix et donc au changement. Se Voir autrement, Regarder autrement, Faire autrement.

Qu’est ce qu’un artiste ?

Voici la définition qu’en donne Wikipedia : « Un artiste est un individu faisant une œuvre, cultivant ou maîtrisant un art, un savoir, une technique, et dont on remarque entre autres la créativité, la poésie, l’originalité de sa production, de ses actes, de ses gestes. Ses œuvres sont source d’émotions, de sentiments, de réflexion, de spiritualité ou de transcendances ».

Pour compléter, je dirais que l’artiste doit aller au-delà des limites perçues par une société myope qui ne comprend pas immédiatement la portée de ses œuvres et progresse très lentement au travers de ses acquis scientifiques, techniques ou sociologique. Je veux parler du principe dans lequel réside, non pas le changement de la société, mais l’évolution des mentalités. L’artiste se saisissant de ses acquis, trace l’avenir grâce à cette vision spécifique qui ne se préoccupe pas des limites qui entravent toutes les libertés. L’art est avant tout liberté, encore plus nécessaire dans ce monde des hommes, par nature en quête de sens. Et cette liberté s’applique en premier lieu à lui même. L’artiste est une éponge qui se gorge de tout ce que produit la société. Il doit être libre pour laisser entrer ce flux d’informations, de perceptions, d’émotions. C’est cette hyper sensibilité passée à la moulinette de son intuition et de sa culture qui lui procure ce don de projection dans le futur. C’est un éveilleur et un réveilleur de la pensée et de la conscience, un radar sociétal qui permet d’agir sur la pensée humaine. Certains artistes refusent le politiquement correct, la pensée unique. Je suis de ceux là. Ils changent souvent radicalement de point de vue. Leur regard s’en trouve mécaniquement modifié. Leur mise en perspective du monde est forcément différente. En croisant les effets de leur changement de regard, de leur capacité à se gorger des signifiants et signifiés de notre société et de son hyper sensibilité, ils ont une vision différente du monde qui se traduit par des concepts, des formes, des couleurs, des mots, des ambiances, des textures, des postures…voir des impostures.

C’est un peu comme s’il était le haut d’un sablier qui synthétise l’air du temps en une œuvre construite qui lui échappe ensuite dès qu’elle est passée dans le goulot d’étranglement et passe dans la partie basse du sablier. D’abord tout petit filet dans le passage entre le haut et le bas, sa vision du monde suscite des émotions, une réflexion, un débat, interroge la société et entre dans un mouvement d’accélération et d’élargissement. Alors seulement, ses idées sont véhiculées, reprises, transcendées par les intellectuels et les médias, puis par la société qui la déclinera ensuite en innovation, en comportement, en posture.

Je suis moi même artiste protéiforme : peintre, art designer, détourneur d’objet, plasticien et avec mon concept de la « société à colorier », j’ai conscience d’être un veilleur et un éveilleur de conscience. Je me définis comme un journaliste pictural, comme un citoyen du monde, qui pointe du doigt les dysfonctionnements ou les dérives de la société en dehors de tout parti pris idéologique, politique ou religieux.

Je pose sur la société un regard d’artiste humaniste. Je n’apporte pas de solutions. Ce n’est pas mon rôle. Mon rôle est d’interpeller, de susciter la réflexion, de provoquer le débat, de développer le sens critique pour aider à dessiner le Nouveau monde, car à chaque grande transition de l’humanité, je sais au fond de mes tripes que l’art exprime avant toute autre forme d’expression les changements profonds. Pour moi, l’Art constitue aujourd’hui plus que jamais dans nos sociétés de certitudes, un levier puissant pour mobiliser nos imaginaires, pour réinventer le monde. C’est pourquoi, j’intègre dans mes tableaux un dessin en noir et blanc représentant l’avenir, une société qui reste à colorier, à réenchanter par les hommes. Par le biais du tableau, je leur demande d’entrer en conversation avec leur présent et leur avenir collectif, pour répondre à cette question : Quelle société voulons-nous pour demain ? C’est mon concept de la « Société à colorier® ».

En laissant au spectateur la responsabilité de colorier l’avenir au travers des dessins en noir et blanc plaqués sur des toiles très colorées, je mets aussi en perspective un nouveau concept : « l’Art conversationnel® ».

Avec ce dessin en noir et blanc qui reste à colorier, l’Art devient collaboratif, intègre l’autre. La parole circule, la conversation construit, l’œuvre devient évolutive. Elle devient le point de départ d’un nouveau monde possible. Et les conversations peuvent continuer et se partager sur les forums et les réseaux sociaux. C’est ça « l’Art conversationnel® ».

La singularité se partage sans se dénaturer, s’enrichit du collectif. En obligeant le spectateur à être acteur de la toile, l’Art a le pouvoir d’initier de nouveaux paradigmes de nos sociétés en devenir.

Nous touchons là à la médiation de l’art car, au sens large, tous les participants à un fait artistique ou culturel en sont des médiateurs, qu’ils soient créateurs d’une œuvre, spectateurs, amateurs ; chacun peut être un "passeur » d’émotion, d’idées, de culture, … consciemment ou pas. Alors est ce que l’Art que je produis peut changer le monde ?

C’est à vous de le dire, de le vivre en coloriant la société de demain.

Mais les contextes sont souvent hostiles aux nouvelles créations originales. C’est un fait que l’on constate tout le long de notre histoire occidentale.

A l’instar des idées philosophiques, les artistes qui ont une parole à dire restent souvent incompris et maltraités de leur vivant car visionnaires, dérangeants, insoumis à la pensée unique tel que

- Banksy, ce personnage mythique de la scène graffiti, identifié comme étant un troubadour des temps modernes. Pour cet artiste revendicateur, aucun fait social ne sait lui résister tant il est incisif et décoiffant dans son art. Il adore provoquer, choquer voire perturber la société et c’est ce qui fait toute l’importance de son œuvre. Philanthrope, anti-guerre et révolutionnaire, Banksy prend son art comme médium de communication pour scander haut et fort son mécontentement envers certains faits de société, certaines situations politiques ou carrément, certaines décisions adoptées par les leaders mondiaux.

- Le photographe JR, expose ses photographies géantes en noir et blanc dans la rue, qu’il qualifie de « plus grande galerie d’art au monde ».. « Artiviste urbain », comme il se qualifie lui-même, JR tend à amener l’art, là où une confrontation brute, sans références, est encore possible, attirant ainsi l’attention de ceux qui ne fréquentent pas les musées habituellement. Son travail mêle l’art et l’action et traite d’engagement, de liberté, d’identité et de limite. JR crée "l’art infiltrant" qui s’affiche, sans y être invité, sur les immeubles des banlieues parisiennes, sur les murs du Moyen-Orient, sur les ponts brisés d’Afrique ou dans les favelas, au Brésil. Des gens qui vivent souvent avec le strict minimum découvrent quelque chose d’absolument superflu. Et ils ne se contentent pas de voir, ils participent. Des vieilles dames deviennent mannequins pour un jour, des gosses se transforment en artistes pour une semaine. Dans cette action artistique, il n’y a pas de scène qui sépare les acteurs des spectateurs.

- Ou encore Oliviero Toscani, le photographe des campagnes de pub Benetton qui dans une célèbre affiche, montre un curé embrassant une religieuse. Cette affiche, comme les autres provoquent de fortes polémiques comme actuellement celle du pape « roulant une pelle » à un imam. Ces affiches n’imposent pas la morale, le message est ambivalent et libre à nous de répondre aux questions qu’elles soulèvent. Ici, la publicité est une fabuleuse caisse de résonnance pour l’artiste qui se sert de la marque pour faire passer sa vision du monde et pour la marque qui se sert de la puissance de l’artiste.

Comme Oliviero Toscani, les artistes peuvent utiliser les marchands du Temple ou être récupérés par eux comme produit de consommation culturel et dans cette posture, annoncer le changement de la société. C’est ce qu’a fait Andy Warhol avec « Andy Warhol’s Factory ».

Une grande partie de l’œuvre de Warhol consistait à interroger la production d’images : Images de stars, « Unes » de journaux, symboles de l’Amérique, mais aussi images sociales, ces masques que nous mettons entre nous et les autres dans un va-et-vient entre l’être et le paraître qui était la seule chose vraiment primordiale à ses yeux.

De la même manière que la Factory avait servi à produire à la chaîne les sérigraphies les plus chères de l’histoire de l’art, ce lieu devait aussi servir à Warhol à produire du mythe de l’image sociale en quantité industrielle, de la multiplier à l’infini sur tous les supports possibles, en espérant que cette profusion la déshumanise totalement, la vide de sa signification, comme l’image d’une Marilyn qui n’avait plus rien de Monroe.

Alors, l’art de Banksy, de JR, de Toscani, de Warhol a t-il changé la société ?

Oui, si l’on admet qu’un artiste a une parole à dire, une vision du monde à faire partager qui engage une réflexion, une prise de conscience. Non si l’on se place du côté de l’action transformatrice du monde.

Le passage à l’acte, l’action innovante est souvent l’aboutissement d’une maturation sociétale non visible ou perceptible initiée bien longtemps avant par les artistes.

Le rôle de l’artiste n’est pas de changer le monde, mais de bousculer le monde dans ses certitudes, dans ses habitudes. Je m’inscris dans le périmètre de ces artistes éveilleurs de conscience.

- Jeff Koons est un autre type d’éveilleur de conscience. Héritier de Warhol, il s’est lancé dans l’art « en tant que vecteur privilégié de merchandising ». La consommation effrénée de produits industriels a conduit à une accumulation incroyable de déchets. Jeff Koons, non seulement utilise les rejets de l’autre, mais il les vend sur le marché de l’art à des prix exorbitants : son œuvre « Balloon Flower » s’est vendue la bagatelle de 25 millions de dollars ! Si ces travaux attirent les foudres des critiques, ils attirent aussi les spéculateurs qui dénaturent la valeur artistique pour en faire une valeur refuge à l’instar de l’Or. Jeff Koons est devenu un pur produit financier de la mondialisation, la dénonçant tout en poussant le marché de l’art dans ses dérives extrêmes.

Par la mise en scène de sa propre dérive dont le but est de monétiser l’art à outrance, l’Art de Jeff Koons est aussi une représentation d’un monde qui change.

Gil Adamy

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